
Ce mercredi est sorti « Le jeune Ahmed », le nouveau film de Luc et Jean-Pierre Dardenne. L’histoire d’un jeune radicalisé qui, au travers de l’IPPJ, découvre le monde agricole et… L’amour ! Une fiction mise en images par les frères Dardenne mais qui se base sur une vraie réalité : les fermes d’accueil social, dont un arrêté gouvernemental wallon vient de fournir le cadre légal. Focus sur cet accueil si différent et pourtant si important.
Cet article est initialement paru dans le Pleichamp 21-22 du 23 mai 2019
Il ne faut pas toujours voyager vers l’infini et au-delà ou rêver d’une galaxie lointaine, fort lointaine pour se dépayser. Il suffit parfois simplement de sortir de chez soi, de traverser la rue et de prendre un nouveau chemin pour découvrir un autre monde et se sentir transporté. On a tendance à l’oublier mais passer la porte d’une ferme, pour un citadin, est une expérience particulière. Pour lui, aller à la campagne est un voyage, respirer de l’air frais, une découverte. Des changements qui sont souvent bénéfiques pour ces aventuriers en herbe : diminution du stress, ressourcement, activité physique, sortie du quotidien…
D’où cette question : et si une ferme était bien plus qu’une exploitation agricole ?
L’accueil social ?
L’accueil social à la ferme et à la campagne est une diversification agricole à vocation sociale et solidaire. Il s’agit de l’accueil d’une personne dite en difficulté – que ce soit du point de vue social, familial ou de santé – par une structure agricole ou rurale en vue de l’amélioration de son bien-être.

Ces bénéficiaires peuvent être porteurs d’handicap, en situation d’isolement, en période de crise, sous dépendance ou encore être des jeunes en décrochage scolaire ou dépendant, comme dans le film « Le jeune Ahmed », d’organisations chargées de la protection de la jeunesse. Pour simplifier, l’accueil social s’adresse à toute personne qui, pour quelque raison que ce soit, ressent un jour le besoin ou la nécessité de retrouver un contact avec la nature ou avec d’autres personnes.
La ferme étant un univers proche de la terre dans lequel il y a toujours quelque chose à faire, c’est un endroit parfait pour prendre un bol d’air par rapport à sa vie normale, se changer les idées ou simplement se sentir utile.
S’il y a autant de types d’accueils que d’accueillis différents, il y a aussi une très grande variété d’accueillants : fermes familiales, structures rurales en lien avec l’agriculture ou la nature, agriculteurs pratiquants d’autres types d’accueils (fermes pédagogiques, etc.), … Chaque situation est unique et comprend des partenaires uniques mais liés par l’envie d’avancer ensemble !
Enfin, tout accueil social est encadré par une structure sociale ou de santé dans le but de favoriser l’inclusion du bénéficiaire dans la communauté ou de chercher son mieux-être.
« Le quotidien des uns est l’extraordinaire des autres »
Faire du beurre ou des glaces, traire les vaches, nourrir les animaux, guider les troupeaux, empaqueter la production, faire pousser des légumes, s’occuper du potager… Des activités quotidiennes pour de nombreuses exploitations agricoles mais des actions extraordinaires pour bon nombre de bénéficiaires de cet accueil. En se dépensant au grand air, en retournant (à) la terre, en prenant soin des animaux, en retrouvant une certaine famille avec les agriculteurs, les personnes en difficulté revivent et remettent souvent le pied au grand étrier de la vie. De l’autre côté, l’agriculteur, qui effectue souvent ces tâches seul, y trouve une compagnie et réhumanise son quotidien, chaque petit geste trouvant là un sens nouveau puisqu’il permet d’aider une personne dans le besoin. L’agriculture devient un vecteur d’intégration et de mieux-être pour des personnes psychiquement ou socialement touchées, qui s’y découvrent une bouée de sauvetage, une bulle d’air ou une mise au vert salvatrice.
Cet aspect social est et doit être au centre de la démarche. Le but premier n’est donc pas de faire une formation qualifiante ou d’embaucher un assistant, tout comme l’aspect financier ne peut, ni ne doit, être la raison première de cet accueil. L’accueil social porte bien son nom : son objectif principal est d’aider, d’être soutenu et de mettre sa pierre à l’édifice communautaire.
Lorraine Guilleaume est chargée de mission « Accueil Social Rural » au sein d’Accueil Champêtre en Wallonie. Pour elle, cet accueil n’est pas bénéfique qu’au seul accueilli. « L’accueil social place vraiment l’humain au centre du système, nous explique-t-elle. Non seulement il permet à un bénéficiaire de sortir des institutions et de retrouver un rythme de vie, mais il permet aussi de reprendre confiance en soi ou de casser sa solitude. On parle ici véritablement de (ré)insertion sociale. En plus, pour beaucoup, le but est de faire de simples gestes utiles pour se sentir utiles, et donc de retrouver un sens à la vie. L’accueillant, quant à lui, y trouve la possibilité de revaloriser son travail, de transmettre son savoir et de valoriser ses connaissances. Enfin, l’institution sociale ou de santé partenaire y voit là l’opportunité d’offrir un cadre d’expériences unique permettant de pallier le manque de places disponibles. » On le voit, l’accueil social rural est une diversification dans laquelle tout le monde y trouve son compte !

L’Union fait la force
En accueil social plus qu’ailleurs, la devise nationale belge fait figure d’exemple et de marche à suivre. D’ailleurs, cet accueil, où en est-il au sein du royaume ? Eh bien, comme toujours avec le plat pays, il faut souvent y regarder plus d’une fois pour avoir un aperçu de la situation nationale. La Belgique étant un imbroglio institutionnel où chaque chose doit se voir selon deux ou trois prismes différents, il faut différencier le tempo de l’accueil social francophone de l’accueil social flamand.
Le nord du pays propose un paysage florissant d’accueil social rural, étendu et varié : guidé par Steunpunt Groene Zorg – le Point d’appui « Soins verts » – ce sont près de 1000 lieux d’accueil flamands qui ouvrent leurs portes à ces agriculteurs en herbe. Et, comme dans le film des frères Dardenne, les bénéficiaires sont souvent des jeunes, le plus souvent en situation de décrochage scolaire.
Dans la partie sud du pays, l’accueil social a doucement germé ces dernières années et commence à proposer un beau panel de possibilités aux accueillis ou aux institutions. Porté, notamment, par Accueil Champêtre en Wallonie en collaboration avec la coopérative Cera, le projet couvre plus de 120 exploitations rurales et agricoles pour un public composé majoritairement d’adultes en difficultés sociales, familiales ou de santé, accompagnés par des structures spécialisées. Contrairement au nord du pays, la protection de la jeunesse ne bénéficie pas encore des possibilités offertes par l’accueil social rural. De quoi faire du « Jeune Ahmed » une chimère côté wallon ? Pas dit, le projet étant à l’étude, le film pourrait être davantage une fiction d’anticipation qu’un film de science-fiction… La suite au prochain épisode !
Agriculture et cinéma :
Silence, ça tourne !
La ferme de la Croix de Mer n’est pas la seule exploitation agricole à avoir récemment brillé sous les feux des projecteurs : la ferme de Warelles, en 2018, pour « Les Misérables » de la BBC, ou encore la ferme de la Vallée, en 2010, dans « Sans laisser de traces », ont aussi servi de décors pour des tournages de fiction.
C’est que le monde agricole et rural wallon a une belle carte à jouer au cinéma ! De belles bâtisses, des vieilles pierres, de grands espaces verts, des paysages à couper le souffle… La campagne wallonne a pris l’habitude de se sublimer devant la caméra. Des frères Dardenne à Bouli Lanners (on pense notamment au film « Les Géants » tourné en Ardenne) en passant par quelques grosses productions françaises ou américaines (« Mandy », avec Nicolas Cage, 2017, « Rien à déclarer », de Dany Boon, 2010…) ou – évidemment – les productions belgo-belges au succès international (comme « La Trêve », série de la RTBF se déroulant en Gaume), le sud du royaume sait se transformer en star. De par sa relative petite taille, la région wallonne permet à une production de jongler rapidement entre tournages en ville, campagne ou forêt. De plus, le système belge de tax shelter est un réel incitant pour les productions étrangères puisqu’il permet à une entreprise de bénéficier d’une exonération fiscale de 150 % du montant investi dans une production.
Enfin, sachez que ces tournages rémunèrent généralement les propriétaires des lieux investis. Envie d’en savoir plus ou de proposer vos terrains au cinéma ? De nombreuses agences spécialisées ou maisons de production sont continuellement à la recherche de terrains à exploiter dans le cadre d’un film (on pense notamment à Wallimage), pourquoi ne pas y penser ?
Le début d’une longue saga
Alors que le « Le Jeune Ahmed » se termine au générique final, l’aventure de l’accueil social rural ne fait que commencer. Avec l’arrêté gouvernemental wallon du 16 mai 2019 plaçant un cadre législatif au mouvement, la région travaille sur une offre reconnue de services d’accompagnement et sur l’agréation des structures partenaires. Il faudra ensuite instaurer une certaine cohésion régionale – voire nationale – pour faire de cet accueil une véritable diversification.
Les modèles du Green Care et du Social Farming l’ont prouvé, non seulement en Angleterre mais aussi en Europe : la professionnalisation du secteur ne peut être que bénéfique à tous, le système étant même économiquement porteur outre-Manche ! Les graines wallonnes sont plantées et les premiers fruits sont déjà prêts à être cueillis… Alors, l’accueil social rural, clap de fin ? Plutôt le début d’une longue saga !
En savoir plus sur l’accueil social rural ? Contactez Lorraine Guilleaume
lorraine.guilleaume@accueilchampetre.be – 081/62 74 59 – www.accueilchampetre-pro.be/accueilsocial
De la Croix de Mer à la Croisette
Jacques de Marneffe est agriculteur à Faimes, en région liégeoise. Si les frères Dardenne ont donné vie à la fiction du « Jeune Ahmed », le propriétaire de la Ferme de la Croix de Mer a, lui, donné du sens aux gestes des acteurs. Car pendant que sa ferme servait de décor au film,

l’homme observait, corrigeait et faisait répéter encore et encore aux acteurs des gestes simples : ceux du quotidien d’un agriculteur. Des mouvements naturels pour lui mais tellement nouveaux pour ces stars du grand écran.
« Il y a une scène toute simple où Ahmed doit faire boire un veau, nous raconte-t-il. Une scène simple, composée de gestes simples, et pourtant tellement révélatrices de la rencontre un peu naïve entre le monde du cinéma et le monde agricole. Tout d’abord, au début, l’acteur, comme tout enfant qui découvre la ferme, avait peur des veaux. Il avait peur de se faire mordre, de mal faire les choses… Ensuite, cette scène – que les réalisateurs pensaient facile – il a fallu la refaire, encore et encore. Et dans leur douce découverte du milieu agricole, les frères Dardenne pensaient que ça irait tout seul, et donc qu’un veau allait boire mille litres pour les beaux yeux de la caméra… Et lorsqu’il fallait changer de bête, il fallait que les bêtes soient exactement pareilles, avec la même robe, le même numéro de boucle, impossible ! »
Jacques de Marneffe le dit lui-même, pour être « coach » au cinéma, il ne faut pas être timide. Une qualité qu’il a affiné pendant ses quelques 20 années de ferme pédagogique. Deux décennies à montrer les mêmes gestes et à donner les mêmes explications aux enfants, et pourtant, il le fait toujours comme si c’était la première fois : son métier, c’est sa passion. Une envie de partage qui l’a poussé, comme dans le film, à ouvrir sa ferme à l’accueil social. « Quand on travaille en agriculture, quand on s’occupe d’animaux, il y a un retour naturel, on se sent utile. La ferme bonifie, elle créé de la confiance, de la motivation, elle donne un but. Et ça fait du bien aux gens ! L’accueil social permet d’être encore plus utile à une société qui en a bien besoin. »
En montant les marches de Canne avec les frères Dardenne pour la première du film, c’est donc une petite partie de l’agriculture wallonne dans toute sa diversité que Jacques de Marneffe a pris avec lui, celle qui produit, qui explique et qui accueille. Comme le dit sa fille, après « Un indien dans la ville », voilà « Un agriculteur à Cannes » !
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